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Photo du rédacteurRomain Lehmann

Discipline universitaire : la libération de la parole ne vaut pas l'instruction d'un dossier.


Un étudiant d'une vingtaine d'années est venu me voir début 2020. Visiblement inquiet quant à son avenir professionnel, rien d'anormal jusque-là, il se trouvait également marqué par un troublant épisode d'atteinte à son honneur, sa personnalité et sa probité.

Intrigué par son exposé, je prenais en main les éléments en sa possession. Il en ressortait une accusation d'agression sexuelle portée à son encontre par une étudiante de sa faculté. Rassurant, je lui indiquais que la section disciplinaire de l'université serait saisie et qu'il nous appartiendrait de préparer notre défense, en un mot, de tenir bon.

Avant d'aller plus loin, pour les besoins de cet article, j’informe mon lecteur que le président d'une université délègue aux autorités facultaires (représentées par un doyen) son pouvoir de discipline. Avant une réforme du 26 juin 2020, le conseil académique était composé d'une section disciplinaire chargée d'instruire puis juger, sur saisine du président de l'université, les faits relevant d'une faute disciplinaire.

A priori, je ne redoutais pas que l’autorité universitaire puisse à ce point s'éloigner de son rôle, qui est de veiller qu’un usager ne porte pas atteinte à l'ordre ou au bon fonctionnement de l'université (ancien article R. 712-10 du Code de l’éducation). Très vite cependant, mon client devait m'avertir du caractère singulier de la procédure qu'il subissait.


En l’occurrence, les autorités facultaires au lieu de rapporter la plainte qu’elles avaient reçue directement à la compétence du président de l'université, avaient effectivement décidé ; d’abord, de convoquer mon client afin de l’entendre et d’établir un rapport ; mais encore, de convoquer une assemblée général obligatoire (sic) destinée à l'ensemble des étudiants et du personnel enseignant ou non de la faculté.

Si la première mesure pouvait sembler de bon aloi, la seconde en revanche relevait d’une grave impéritie.


Cela ne vous étonnera qu'à moitié, l’assemblée était motivée par le besoin de "libération de la parole" ! Or, quel crédit pouvait-on dès lors accorder au rapport d'une autorité délégataire de la discipline à partir du moment où elle prenait fait et cause pour la plaignante ?


Fort heureusement, au cours de cette assemblée, tenue en amphithéâtre, les autorités facultaires n’ont pas livré de noms à la vindicte estudiantine mais ont rappelé, s'il en était besoin, que les infractions de harcèlement sexuel, agression sexuelle et viol, étaient punies par la loi.


Sur le sceau d’une confusion entre trois infractions pénales distinctes, on avait ainsi sciemment opté, en âme et conscience dirons-nous, pour les rumeurs et les "on-dit". Car, je vous le donne dans le mille, malgré toutes les précautions prises, ce que nous redoutions n'a pas manqué de se produire.


Aussitôt après l’assemblée, mon client a été contraint de raser les murs de sa faculté et d'observer, mutique et impuissant, le tombereau de commentaires sur les réseaux sociaux relatif aux raisons d’une telle réunion, chacun recherchant les causes, menant sa propre enquête, interrogeant sur qui, quoi, comment.


Les rumeurs qui touchaient à la plainte déposée contre mon client grossissaient de telle façon que les autorités facultaires se sont alors crues obligées d'indiquer, à nouveau par mail, qu'il était inutile de s’interroger plus avant !

Même sans avoir été publiquement dénoncé, à dieu ne plaise, le mal était fait.


Au nom de la libération de la parole, sous couvert de rappels généraux et impersonnels à la loi, on a fait feu de tout bois de la dignité de la personne accusée, que toute procédure impartiale permet d'observer et de conserver, et, on a, par inconséquence, permis à l'opprobre de s’épandre.


Comment, dans cette hypothèse, un étudiant de 20 ans, est-il supposé pouvoir endurer de tels regards portés de biais sur lui ? Comment peut-il combattre le sentiment « d'être livré » alors que les faits n'étaient pas démontrés ?

En l'occurrence, mon client a bénéficié du soutien de ses amis, de sa copine, de ses parents et d'un avocat qu'il est venu chercher. Mais qu'en est-il de ceux qui ne disposent pas des moyens de se défendre ou s'avéreraient, par caractère ou choix, peu sociables et célibataires ?


Ils sont livrés à eux-mêmes, avec le seul principe de présomption d’innocence en plâtre de leurs scrupules d’honnêteté. Une telle manipulation était inacceptable.


L'impéritie procédurale des autorités facultaires ne permettait plus d'envisager sereinement la procédure de jugement disciplinaire à venir, ce que je ne manquais pas de faire savoir auprès de la section disciplinaire, qui n’a pas tenu compte de ces arguments.


De mal en pis, quelle ne fut pas ma surprise lorsque, en phase d'instruction, je découvrais que les autorités facultaires avaient été convoquées en qualité de témoin des faits ! Vous pensez bien, j'ai pris plaisir à rappeler fermement à mon tour, quels étaient les devoirs de cette autorité et combien la libération de la parole n'excusait pas les atteintes aux droits essentiels de la défense.


Car, finalement, tout a été question de rappels essentiels aux droits fondamentaux de la personne accusée. Une section disciplinaire répond des garanties dont la personne déférée bénéficie, que ce soit en termes de présomption d'innocence, d'impartialité, ou de défense et c’est à l'aune de ces principes que nous avons pu faire rétablir la situation, faire valoir les témoignages des personnes réellement présentes lors des faits, lors d’une instruction apaisée et fondée sur le souci de vérité.


Nous saluons au passage le souci de l'écoute et de l'exhaustivité qui a nourri les débats.


Aucune faute disciplinaire n’a finalement pu être retenue contre mon client en décembre 2020, la matérialité des faits n’étant pas démontrée, ni avérée.


Mais l'épreuve fut importante.


Il est à noter que depuis le décret n° 2020-785 du 26 juin 2020 relatif à la procédure disciplinaire dans les établissements publics d’enseignement supérieur, la section disciplinaire des usagers peut sanctionner, outre le "fait de nature à porter atteinte à l'ordre, au bon fonctionnement", l'atteinte faite "à la réputation de l'université".


L’autorité de poursuite, même délégataire, ne pourrait-elle pas décréter par avance, sans jugement, ce qui porte honneur à l’université, notamment en assemblée générale ?

Nous pouvons craindre qu’une telle notion soit de géométrie variable. Contrairement aux droits de la défense.


Restons vigilants.



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